Je me suis souvent dit que le temps effaçait la souffrance et laissait place aux souvenirs heureux. Et j'y ai cru. J'y ai cru tellement fort! Mais surtout parce que je voulais y croire. Je voulais m'accrocher à cela. C'était pour moi la seule façon de survivre, vous comprenez, la seule façon de garder espoir par rapport à l'avenir.

Je viens de comprendre que ce n'est pas vrai. Il m'a fallu presque deux ans, vous vous rendez compte? Deux ans de mensonges... La première année, ça a été très dur. La souffrance. La vraie. Celle qui vous prend aux tripes, vous coupe le souffle et vous empêche de penser à quoi que ce soit sinon à la douleur que vous éprouvez. Vous vous noyez dans cette souffrance, elle vous encercle, vous vous sentez irrémédiablement condamné à la subir le restant de vos jours, tant elle fait partie de vous.

Et puis il y a eu la pose de la pierre tombale. Je me suis dis: "ma fille, il est temps de faire ton deuil!" C'était indispensable. Sans cela je serais morte également. Alors je ne sais pas ce qui s'est passé, mais je me suis sentie obligée de ne me souvenir que des bons moments. Pour lui, vous voyez, pour qu'il soit fière de moi. Je parlais de lui le sourire aux lèvres, tentant de me persuader que j'étais heureuse: heureuse de l'avoir connu, heureuse de l'avoir rendu heureux. Et j'y suis très bien arrivée... Jusqu'à aujourd'hui.

Aujourd'hui j'ai compris que je ne suis pas heureuse. Je suis triste, désespérement triste. Il me manque tellement! Je voudrais qu'il soit là, qu'il me serre dans ses bras, que tout redevienne... comme avant!